Sophie Bassouls | Photographe | De ma chambre, chroniques / Photos volées

Sophie Bassouls
Portraits de la littérature
Favre, Lausanne, 1987

Broché - 72 pages?> - 185 × 210 mm
ISBN 2828902889
66 photographies noir et blanc

Ils viennent d'horizons différents, appartiennent à des générations séparées, leurs problèmes, leurs enchantements, leurs idées n'ont rien en commun, mais tous, dans un domaine qui est le leur, écrivent. C'est l'écriture qui les réunit, qu'ils soient poètes, romanciers, historiens et philosophes.
Je les ai lus, suivis et poursuivis. J'ai éprouvé pour eux du respect, de l'affection, de l'admiration, parfois de l'agacement, mais surtout de la curiosité. C'est elle qui m'a poussée à ces rencontres; venait ensuite l'espoir, quelquefois atteint, de réaliser une image qui, au travers d'un visage, révèle les idées et les mots.
Comment se consoler de n'avoir jamais photographié ni Conrad, ni Dostoïevski, ni Proust, ni Rabelais ? Je vis avec mon temps, heureusement, et, le premier, Gombrowicz m'a ouvert sa porte, Lawrence Durrel, entre deux photos, préparé un repas indien, Michel Tournier, mon complice en photographie, allumé les lampes de son studio secret et Marguerite Yourcenar accueillie sur son île lointaine au moment du dégel, avec le sourire. Qu'ils soient remerciés.
Pour toutes ces photographies, il fallait être deux. Je ne crois pas aux images volées. Elles seraient plutôt données. Celui qui est photographié se livre, se met entre vos mains. Au photographe de le comprendre. Je fais un métier qui fait un peu peur, on me le dit souvent. Lorsque mes Nikon ou mes Leïca sont braqués sur eux, je constate un mouvement de recul, une inquiétude, le naturel disparaît, les traits se figent et je dois m'efforcer, alors, de faire fondre cette gêne. La confiance et une certaine complicité sont presque indispensables.

Préface

O

n accuse souvent la télévision, forcément suspect de tous les maux de transformer l'écrivain en marchand de tapis, le sien est de dénaturer sa fonction, qui est d'écrire et non de bavarder. Que faudrait-il dire, alors, de la photographie, qui soumet le romancier, le poète ou l'essayiste au rite ambigu de la pose et le place à la même enseigne que l'homme politique, la starlette de Cannes ou le héros d'un fait-divers ? Le procès est vieux mais la cause est entendue : ni la télévision, ni la photographie, contrairement aux inquiétudes brandies par quelques nostalgiques poussiéreux de l'âge des cavernes, n'avilit la littérature. Au contraire : elles nous font assister au début de la création, elles donnent même parfois de la vie aux œuvres endormies.
On mesure, sinon l'utilité, du moins l'intérêt des images abandonnées à la postérité par les caméras et les appareils photo, à l'aune des siècles qui n'ont connus ni les unes ni les autres : Madame de la Fayette photographiée dans son pavillon de chasse, Diderot ou Voltaire interviewés chez eux, l'intendant militaire Stendhal filmé pendant la campagne d'Italie, avouez que l'on ferait, aujourd'hui, un bel usage, non
Je ne me m'éloigne pas, contrairement aux apparences, du recueil de photographies signé Sophie Bassouls. Voici quelqu'un, en effet, dont le travail épouse la passion. Les écrivains innombrables, que Sophie a épinglés, tantôt avec admiration, tantôt avec affection, parfois même avec les deux réunies, doivent beaucoup à la professionnelle mais plus encore, je crois, à la femme, dont le regard vainc toutes les réticences et perse tous les murs du silence. Les photographies de Sophie Bassouls resteront, parce qu'elles sont vraies, vivantes, prospectives. Vous voulez que je vous dise ? Je les reconnais toujours au premier coup d'œil. Trois signes ne trompent pas : devant son objectifs, les écrivains sont beaux. Sans trucage, Sophie guette dans un visage, le meilleur. Elle gomme naturellement les rondeurs, révèle la grâce dans une disgrâce, éclaire ce qui est sombre, trouve l'angle chaleureux et la position la plus douce. C'est la photographie-aquarelle, pleine de tendresse. Seconde caractéristique : l'humanité des lieux. Sophie Bassouls ne traite pas ses sujets comme des mannequins plaqués artificiellement sur du réel. Elle restitue parfois un aspect fût-il imperceptible, du décor familier de l'écrivain. La lampe n'a pas été déplacée, le bureau n'a pas été déguisé, la rue n'est pas n'importe quelle rue, on sent l'écrivain à l'aise et nous aussi. Enfin, il est clair que Sophie Bassouls a su résister, par esthétique mais peut-être aussi par morale, aux séductions de la technique moderne : classique par élégance, élégante par classicisme, la photographie ne triche jamais ni ne fait dans le cliché-vidéo-clip. Elle brille par sa discrétion. Photographie-maïeutique !
Je n'invente rien les pages de ce livre album donne raison à mon enthousiasme. Sophie Bassouls a capté les sourires de Dominique Fernandez et de Serge Rezvani, d'ordinaire marmoréens ou atrabilaires devant l'objectif. Jusqu'au Bouddha Bodard habituellement bougonnant, mais ici affectueux, serein, paternel ou l'embrasserait ! Philippe Soupault, comme rajeuni, joue au galopin. En revanche, Philippe Sollers toujours trop hilare ou trop prétentieux sur les photos, paresseusement lové dans les bras d'une statue, à Versailles, et soudain détaché de la comédie littéraire nous offre un regard nostalgique et vrai.
On ne se lasse pas de se promener dans les galeries des portraits tirés par Sophie Bassouls au fil des ans. Pourquoi ne pas avouer mes préférés ! J'aime l'étrange dialogue de Daniel Boulanger avec son propre buste, sur sa table patinée de la rue du Heaune, à Senlis. Je suis touché par la pose hiératique et ironique de Julien Green, dans son appartement bourgeois. Je détaille longuement les objets, les livres, la bimbeloterie confusément et passionnément amassés autour de l'historien Jacques Le Goff, comme si il s'agissait d'une secrète caverne d'Ali Baba. Est-ce mon imagination qui me fait déjà voir dans les yeux clairs mais tristes de Romain Gary, photographié en janvier 1978, l'angoisse inguérissable de celui qui signa Ajar avant de se donner la mort ? Lawrence Durrell et sa poupée gonflable, Cioran dubitatif, dans sa lecture du jour, Borges, Leiris, Nabokov, voici d'autres grands moment réunis pour ce que l'on voudrait être l'éternité.
Et je sais maintenant ce qui me séduit tant dans ce recueil de photographies, c'est que Sophie Bassouls nous fait entrer dans l'intimité des écrivains sans indiscrétion, c'est quand sa compagnie, on ne force aucune porte, c'est qu'elle démythifie l'auteur mais qu'elle ne le rabaisse, ne le banalise jamais. Qu'importe sa technique, qu'importe son art, après tout, puisque c'est le cœur des livres que l'on entend battre ici, comme ces instants de forte émotion qui ne trompent pas et qui disent tout.

Jérôme Garcin

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